CHWP B.21 Catach, "Les dictionnaires de l'Académie française"

4. Mots, expressions et sens disparus de l'usage (archaïsmes, mots populaires, mots "bas")

De nombreux termes, oubliés pour certains depuis le début du XVIIIe siècle, ont été retrouvés grâce aux dépouillements du DAC, et ils seront sans doute pour les lecteurs curieux la principale source d'intérêt de leur réédition et d'une mise à disposition informatique des plus anciennes éditions de l'Académie. Dès l'origine, du fait qu'elle avait commencé son travail en 1635 et ne l'a terminé que près de soixante ans plus tard, et aussi par un choix de la langue "ancienne" qui lui a été en partie imposé par le pouvoir royal, son travail était daté.

Le souci de ne pas renoncer à l'une de ces locutions qu'elle affectionne chez Oudin fait que la 1ère édition intègre des mots qui ne s'employaient déjà plus, de son temps, que dans un seul contexte. Ainsi, sous leans, on trouve:

Du point de vue du contenu, on constate en fait, dans toutes ces éditions, une profusion tout à fait exceptionnelle de termes relevant typiquement de l'Ancien régime, avec une énumération scrupuleuse des différents impôts et droits royaux, seigneuriaux, épiscopaux, etc.; des prières, offices, cérémonies religieuses; des termes des greffiers et des avocats; de tous les types de valets, chambriers et officiers de la maison du roi; de la marine, de l'équitation, des maladies des chevaux, des oiseaux et de la fauconnerie, des chasses du roi et de la vénerie en général, etc.

Ainsi, le mot écroues, n. f. plur., depuis longtemps sorti d'usage, est encore donné en 1878 à côté de deux autres articles (écrou "vis femelle", mot féminin devenu masculin entre temps, et écrou "acte d'emprisonnement") au sens de "rôle des dépenses de la bouche du roi", sans mention historique. On trouve jusqu'en 1878 des mots déjà vieillis au XVIIe siècle comme étranguillon "maladie", fâme "renommée", rais "rasé" ("il ne se soucie ni des rais ni des tondus"), des adverbes comme souventefois, d'anciens participes, formes verbales, etc. (voir Figure 1).

Bien tardivement, la 8e édition s'est aperçue de l'ampleur du phénomène et a supprimé un grand nombre de ces termes restés inchangés de 1694 à 1878. Il en reste encore en 1935 suffisamment pour nous plonger dans un autre monde, qui se révèle, il faut l'avouer, plein de charmes: celui des usages de la féodalité, du règne et de la Cour du roi Soleil.

Les rédacteurs de la 8e édition, embarrassés et débordés par leur tâche, se sont contentés de noter ces archaïsmes d'une mention du type "ne s'emploie plus", "anciennement", "autrefois on disait", "vieux", parfois en y ajoutant brusquement le sens actuel, ce qui rend certains articles assez étranges (ainsi guidon "drapeau, repère", avec mention finale de la bicyclette, foret, etc.).

Par ailleurs, l'Académie n'a jamais pu entièrement épurer ses diverses éditions d'un aspect de son travail plus étonnant encore, qu'on lui avait violemment reproché lors de sa première parution: une profusion de mots "bas", mots du peuple de Paris, commerçants, artisans, ouvriers, valets et servantes, et aussi mots de la ferme, des gens de la campagne, etc., ces classes étant alors beaucoup plus proches de la ville qu'aujourd'hui. Entre autres, des termes de cabaret et de jeux de cartes, de multiples grossièretés, termes qualifiés par l'Académie elle-même d'"injurieux", concernant les maladies, les femmes de mauvaise vie, les femmes tout court, qui sont foison (bequeno, dagorne, gagui, gaupe, gigue, gouine, hallebreda, etc.).

Un certain Artaud (peut-être Furetière) s'empressa de les recueillir dans le fameux Dictionnaire des Halles ou Extrait du Dictionnaire de l'Académie (Bruxelles, 1696, in-12) et Furetière (encore lui) disait à ce propos: "Au lieu que l'Académie devait faire passer le langage de la Cour à la Ville, elle fera passer celui du peuple à la Cour."

L'Académie ne s'en est d'ailleurs pas cachée. Dans son discours du 7 février 1688 (Beaulieux 1951: 60), Charpentier, alors Chancelier (et auquel, d'après Beaulieux, on doit ce penchant coupable de l'Académie pour la gauloiserie), se réclame hardiment de "la langue commune telle qu'elle est dans le commerce des honnestes gens", autrement dit ici les bourgeois de Paris.

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