Figure 2: L'article GAGNER de Trévoux 1743
- GAGNER, v. act. Profiter; faire quelque gain ou profit. Lucrari. Gagner des richesses.
Il a gagné sur cette ferme dix mille écus tout frais faits. Il a
gagné tant sur l'achat de sa maison. Il ne faut pas retenir le salaire de ceux qui
gagnent leur pain à la sueur de leur corps. On demande à celui qu'on loue,
que voulez-vous gagner? c'est-à-dire, faire marché de ses gages. Un bon
Ouvrier gagne tant par jour. [S1]
- Ce mot de gagner vient, selon Icquez, des anciennes langues du Nord. Genge
beon en langue Anglo-Saxone veut dire, avoir avantage, réussir, geingur en
langue Irlandoise signifie la même chose, & gageinan en langue Gothique,
signifie gagner. D'autres encore ont prétendu que ce mot est Gothique, &
qu'on dit ganar en cette langue, comme un Espagnol, & dans le même sens. Il
y a beaucoup d'apparence que les Goths ont porté ce verbe en Espagne, & que
de-là dans la suite il a passé en France. [S?-Et]
- GAGNER-FRANC, se dit des Chanoines qui
ayant quelque Office qui les dispense de résider, ne laissent pas de gagner-franc les
gros fruits de la prébende, comme les Conseillers-Clercs, les Chantres, les Chapelains du
Roi. [S?-Sv]
- GAGNER, se dit aussi pour, Acquérir; tirer quelque
utilité, quelque avantage. Parare, acquirere. Que serviroit-il à un homme de
gagner tout le monde, s'il vient à se perdre soi-même? On ne gagne
rien à mentir, que de n'être pas cru, quand on dit la vérité. ABL. [S2]
- GAGNER, signifie aussi obtenir, remporter, vaincre, réduire,
avoir avantage sur quelqu'un, tant au propre, qu'au figuré. Mereri, obtinere,
consequi. Gagner la victoire. Alexandre se rendit maître de l'Empire des Perses
par trois batailles qu'il gagna. Un tel a gagné le prix de Poësie, de la
dispute, a gagné son procès. Il m'a gagné une belle partie
aux échecs. Il a gagné de bon jeu. On dit aussi, Gagner à
la pointe de l'épée; pour dire, Gagner avec grande difficulté.
L'Académie Françoise a approuvé la critique de cette expression, gagner
des combats:
Le Prince, pour essai de générosité,
Gagneroit des combats, marchant à mon côté. CORN. [S3]
- On dit, gagner une victoire, gagner une bataille, gagner la bataille
& non pas gagner un combat. Pyrrhus après avoir gagné deux
batailles contre les Romains, & voyant que son armée étoit presque
ruinée, dit, Je suis perdu, si j'en gagne une troisième. [S3-St]
- > GAGNER, s'attirer un malheur, une disgrace, au lieu de quelque
avantage dont on se flattoit.
Je ne sais pas quel goût l'on trouve à la satire,
Ses traits vifs & perçans, ont-ils donc tant d'appas?
Hélas! Que gagne-t-on après tout à médire?
Grand nombre d'ennemis qu'on ne corrige pas. [S4]
- GAGNER, signifie aussi, Se rendre maître peu à peu de
quelque chose, y entrer, s'y mettre, s'y attacher. Tenere, invadere. Les ennemis ont
gagné peu à peu le terrein. On gagne le pied de la muraille. Le feu
commence à gagner la maison voisine. L'eau les gagne dans ce navire. [S5]
- GAGNER, s'emploie aussi neutralement en ce sens; pour dire, Faire
un progrès. Progredi. Le feu gagne jusqu'au toit de la maison. L'eau
gagne jusqu'au second étage. La gangrène a gagné
au-dedans. [S5-G2]
- On dit en Terme de Marine, Gagner au vent, ou gagner le-dessus du vent;
pour dire, Prendre l'avantage du vent sur son ennemi, ou simplement prendre l'avantage du vent.
Nous rangeâmes le petit rocher à la portée du fusil pour gagner au
vent. FRÉZIER. Il nous importoit plus qu'à eux de
gagner à l'est. ID. Avoir gagné, se dit d'un
vaisseau par comparaison à un autre vaisseau, lorsqu'il a mieux cinglé que cet autre
vaisseau, qu'il s'en est approché, qu'il l'a dépassé. [S6-Qe]
- GAGNER, signifie encore, Faire diligence pour atteindre, pour parvenir
à quelque chose; arriver en quelque lieu. Il faut gagner pays tandis qu'il fait jour;
nous aurons de la peine à gagner le gîte. Il faut gagner ce village pour
regagner le grand chemin. Ils gagnèrent les vaisseaux à la nage. ABLANC. On le dit aussi des voyages de mer. Nous gagnâmes le 51
degré de latitude. FRÉZIER. [S7]
- GAGNER, se dit en parlant du temps; pour dire, le ménager,
& faire vîte quelque besogne. On le dit aussi pour, Éloigner quelque chose. Les
criminels & les débiteurs ne cherchent qu'à gagner du temps. Cet
Avocat a bien dit du galimathias, mais c'est qu'il vouloit gagner l'heure, faire consommer
le temps de l'audience sans qu'on pût rien juger. [S8-Qe]
- On dit encore, Gagner les devans, tant au propre; pour dire, Arriver le premier au
logis, qu'au figuré, Prévenir, préoccuper les gens dont on a besoin en
quelque affaire, & s'assurer d'eux pour avoir leur suffrage, ou pour donner l'exclusion au
compétiteur. [S9-St]
- GAGNER, se dit aussi au figuré des choses spirituelles.
Aucupari, captare, allicere, demereri. On gagne l'esprit des hommes par la douceur.
Gagner le cțur de quelqu'un par ses assiduités. J'ai envie de vous gagner
par mes bienfaits. ABL. Gagner l'inclination des soldats. VAUG. Ce que l'on dit de bon persuade l'esprit; mais la manière de le dire
gagne le cțur. BELL. Il a gagné les voix, les
suffrages de ses Juges par l'éloquence de son Avocat, ou par ses présens. Il est
aisé de gagner les Indulgences, le Paradis. Cet homme est si dur, si opiniâtre,
qu'on ne peut rien gagner sur son esprit, ni par prières, ni par remontrances.
Gagner l'estime, l'amitié d'une personne. [S?]
- GAGNER, se dit aussi en contre-sens, des désavantages qui
arrivent en la poursuite de quelque chose. Ce Capitaine a attaqué cette ville, mais il n'y a
gagné que des coups. Il a bien couru pour avoir cette charge, mais il n'y a
gagné que la pleuresie. Gagner du mal, gagner un rhume,
gagner la fièvre, gagner la peste. Il y a longtemps que ce pendard avoit
gagné la corde. S'engager dans un procès où il n'y a que de la
honte & de l'infamie à gagner. PATRU. Gagner
une fluxion sur la poitrine. [S?]
- On dit, Gagner sa vie à filer, à chanter, Tolerare, vitam
qurere; Pour dire, Gagner de quoi se nourrir & se vêtir en filant, &
en chantant. On dit aussi dans le même sens, gagner son pain à la sueur de
son corps. [S10-St]
- GAGNER UN țILLET.
Façon de parler usitée parmi les Fleuristes; pour dire, que de la semence qu'on a
faite, il est venu quelque bel țillet nouveau. J'ai gagné cette année deux
ou trois țillets. Voyez La Quintinie & Morin. [S?-Sv]
- GAGNER, se dit proverbialement en ces phrases, qui bien
gagne, & bien dépense, n'a que faire de bourse pour serrer son argent. On dit
des hommes & des chevaux, qu'on leur a bien fait gagner leur avoine, quand on les
a bien fait travailler. On dit, qu'on gagne la gageure, quand on est venu à bout de
ce qu'on avoit entrepris. On dit aussi, gagner le taillis, gagner la campagne,
gagner la guérite, gagner le haut, & gagner au pied; pour dire,
S'enfuir. On dit aussi gagner la main; pour dire, Prévenir. Je voulois avoir cette
charge, mais il m'a gagné la main. Cette expression est prise des jeux de cartes,
où c'est un avantage d'avoir la main, de gagner la main, c'est-à-dire, de
jouer le premier. On dit aussi, Jouer au coquimbert, où qui gagne perd. On dit aussi
ironiquement, Je gagne gros en cette affaire-là; pour dire, J'y perds, au lieu d'y
gagner. On dit encore, Il n'est pas Marchand qui toujours gagne; pour dire, que tous
les Marchands sont sujets à perdre. On dit aussi, que du dérober au restituer on
gagne trente pour cent; c'est-à-dire, qu'on ne restitue jamais tout. [S?-St]
- GAGNÉ, ÉE, part. pass. &
adj. Lucratus, acquisitus. Outre toutes les significations & tous les usages de son verbe,
il a encore un usage particulier avec le verbe donner. Ainsi on dit, Donner
gagné, cedere; pour dire, Quitter, céder, ne vouloir point avoir de
contestation. Je vous le donne gagné; pour dire, Je vous le quitte, je confesse que
vous avez l'avantage sur moi. [Sv]
- On dit aussi proverbialement, Il croyoit avoir ville gagnée; pour dire, Il croyoit
être maître de cette affaire. Crier ville gagnée, c'est, Crier, se vanter
que l'on a remporté l'avantage. [Sv-St]