CHWP B.10 | | Leroy-Turcan, "L'informatisation du Dictionnaire Étymologique de G.
Ménage" |
1. Intérêt scientifique du projet pour la lexicographie et
l'histoire des théories linguistiques
L'ampleur, la diversité et la richesse de l'oeuvre philologique de
Ménage lui confèrent un rôle indéniable dans
l'histoire des théories linguistiques. Seule l'informatisation offrira
les moyens de mieux connaître l'oeuvre grâce à la
complémentarité nécessaire des lectures horizontale et
verticale.
1.1. Ampleur de l'oeuvre de Ménage sur la langue française
a) lexicographique et philologique:
Ménage est l'auteur de quatre dictionnaires, en français et
en italien (les premières éditions constituant des
'ébauches' des formes définitives):
- Les Origines de la Langue Françoise, Paris, 1650[1] (= ici
les Origines);
- Le Dictionnaire Étymologique ou Origines de la Langue
Françoise, Paris, 1694[2] (= le DEOLF ou le
Dictionnaire; la réédition du Dictionnaire
Étymologique par A.F. Jault en 1750 est sans doute l'édition
la plus diffusée -- cf. le reprint chez Slatkine --, mais elle
présente l'inconvénient d'erreurs d'impression[3] pouvant conduire
à mettre sur le compte de Ménage ce qui n'est pas de lui);[4]
- Les Origini della lingua italiana (Paris, 1669; seconde
édition revue et corrigée, Genève, 1685): certes,
à première vue, cet ouvrage ne concerne que peu la langue
française, mais dans la perspective de l'étymologie
comparée des langues romanes, on ne peut négliger son apport
dans l'élaboration du Dictionnaire de 1694 (= les OLI;
cf. les nombreux renvois aux OLI dans le DEOLF).
b) grammaticale, orientée sur la question de l'usage:
- Les Observations de M.Ménage sur la Langue
Françoise, Paris, 1672.
- Les Observations de M.Ménage sur la Langue
Françoise, Paris, seconde édition en deux parties
publiées respectivement en 1675 et en 1676. Le volume de 1675 est la
reprise augmentée de 1672; 1676 s'inscrit dans la polémique avec
Bouhours. Ces Observations, qui ont connu une très grande
diffusion,[5] jouent un rôle capital car elles représentent une
étape fondamentale dans l'élaboration du DEOLF (= les
Observations 1672 ou 1675-6).
Nous laissons de côté, pour le moment, les Observations
sur la poésie de Malherbe puisqu'elles concernent plus le domaine
littéraire, malgré de nombreuses remarques sur la langue en
général.[6]
On saisit une difficulté inhérente à l'oeuvre
elle-même: la complémentarité de chacun des titres. En
dépit de l'autonomie d'édition des différents ouvrages,
on observe que le fonctionnement de chacun s'inscrit dans l'économie de
l'ensemble. Ainsi, deux perspectives sont à retenir:
- la progression normale qui conduit, d'un ouvrage à l'autre,
à la publication du Dictionnaire en 1694,[7] les articles des
Origines (1650) étant complétés non seulement
grâce au travail réalisé pour les OLI (1669 et
1685), mais aussi à partir des recherches effectuées pour les
Observations sur la Langue Française et sur la poésie
de Malherbe;
- la complémentarité pure, Ménage omettant de
préciser dans le Dictionnaire des points qu'il a abordés
dans les Observations ou dans ses Origini.[8]
Que proposer? une informatisation partielle ou complète, sachant
que -- dans l'absolu -- la seule informatisation du Dictionnaire ne
serait représentative que d'une partie du travail lexicographique de
Ménage? Se pose ici la question des corpus restreints non
représentatifs de l'ensemble, du seul fait des fantaisies formelles:[9] on
ne peut établir que des fourchettes représentatives; mais la
saisie de plusieurs ouvrages de Ménage relève de l'utopie pure
(dans un premier temps, espérons-le!).
Il est vrai que la pertinence du choix de l'oeuvre à informatiser
dépend essentiellement de ce qu'on veut en faire, selon que l'on
accepte ou non de se restreindre au domaine français. Dépassons
le risque de réductionnisme: certes, l'idéal -- pour une analyse
verticale détaillée, exhaustive, donc absolument fidèle
à l'oeuvre de Ménage, car reflétant la progression du
travail, d'un ouvrage à l'autre -- serait d'informatiser les trois
dictionnaires: 1650, 1685 et 1694, au moins 1685 et 1694; l'idéal
absolu serait de pouvoir disposer parallèlement de l'informatisation
des ouvrages sur l'usage de la langue, les Observations. En fait, on
peut exclure 1650, simple ébauche de 1694, tout comme 1669 l'est par
rapport à 1685, dans une moindre mesure cependant. Entre les deux
dictionnaires, 1685 pour l'italien et 1694 pour le français, il
paraît plus logique de saisir le Dictionnaire, non seulement en
tant que monument pour l'histoire du lexique de la langue française,
mais surtout comme forme achevée et relativement complète du
travail lexicographique de Ménage: c'est son ultime production dans
laquelle on retrouve les étapes de sa réflexion linguistique.
Quoi qu'il en soit, il est évident qu'un travail exclusivement
interne, portant soit sur les Observations, soit sur le
Dictionnaire, ne peut rendre suffisamment compte du travail de
Ménage. La masse impressionnante des données philologiques exige
donc une étude comparative, une confrontation systématique des
différents ouvrages. Nous en avons fourni plusieurs exemples pour le
corpus des végétaux.
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Notes
[1] Soulignons l'intérêt théorique de l'Epistre
à M. Du Puy et du Traité Exemples de la conversion des
Lettres; 2559 entrées réparties sur 663 pp., sans compter
les additions; premières Additions, p. 665-754; Secondes
additions, p. 755-845; ouvrage in quarto, avec foliotation et pagination.
[2] 6464 entrées, réparties sur 725 pages de deux colonnes, dont
il faut isoler le corpus relu par Ménage lui-même, avant sa mort
en juillet 1692, soit les 6051 entrées des lettres A à S (p.
1-684); additions et corrections, p. 726-40; foliotation et pagination.
[3] La même typologie d'erreur est mentionnée par A. Goosse (1983:
365) à propos de la réédition du Littré avec
intégration dans le texte du Supplément.
[4] Ainsi par la simple omission du "M." signalant la fin de chaque
article de Ménage, comme pour certains ajouts de Le Duchat. Mais cette
édition a le mérite d'intégrer des notes de Ménage
non données au public dans 1694 (cf. l'intérêt de
l'article café, ajouté par X qui n'a d'ailleurs pas
utilisé la note manuscrite de Ménage sur son exemplaire de 1650;
Ménage n'avait pas retenu cette note pour 1694, ce qui est un fait
rare!).
[5] Il suffit de considérer le nombre et la variété des
contrefaçons des différentes éditions pour être
convaincu du succès et de la popularité de l'ouvrage (recherche
en cours).
[6] Cf. les nombreux recoupements avec les Observations sur la Langue
Françoise; cf. aussi dans le DEOLF les renvois aux
Observations sur la Langue Françoise parfois associés aux
renvois aux Observations sur la poésie de Malherbe.
[7] Cf. Leroy-Turcan 1995.
[8] Et ce, malgré sa propension à faire des renvois d'un ouvrage
à l'autre: ainsi dans le Dictionnaire s.v. ancestres,
deux renvois aux Observations sur la Langue Françoise et
à celles sur la poésie de Malherbe; s.v. anche:
renvoi aux OLI; etc.
[9] Cf. pour le Dictionnaire, nos travaux sur corpus choisis: la lettre
B (Leroy-Turcan 1991, p. 180-383); les 'échelles' sur les lettres ABC
Leroy-Turcan 1993a); le corpus thématique du vocabulaire des plantes
(Leroy-Turcan 1995).